dimanche 15 janvier 2017

De l'interdiction de s'adonner aux augures

ב״ה

De l'interdiction de s'adonner aux augures


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La Tôroh nous raconte l'histoire de `ali´azar, le principal serviteur de `avrohom `ovinou ע״ה, qui fut notamment envoyé pour trouver une épouse à Yishoq `ovinou ע״ה dans la famille du frère de `avrohom, à Horon. `ali´azar élève une prière à HaShem ית׳ lorsqu'il approche de la ville, dans laquelle il demande la Siya´to` Dishamayo` (assistance céleste) et établit les termes par lesquels il choisira l'épouse la plus appropriée pour le fils de son maître : il s'approchera d'un puits et demandera à l'une des femmes de la ville un peu d'eau à boire. La fille qui répondra favorablement et lui offrira de l'eau ainsi qu'à ses chameaux sera l'élue destinée à épouser Yishoq.

Le Ramba''m ז״ל fait mention de cet incident dans son Mishnéh Tôroh, dans sa discussion sur l'interdiction de נִחוּשׁ « Nihoush – augurer. » Il écrit ceci1 :

On ne doit pas se livrer aux augures, comme les Gôyim, ainsi qu'il est dit2 : « vous ne vous livrerez pas aux augures. » Qu’est-ce qu'augurer ? Par exemple, ceux qui disent : « Puisque mon morceau de pain est tombé de ma bouche » ou « [Puisque] mon bâton m’a échappé de la main, je n’irai pas à tel endroit aujourd’hui, car si je m’y rends, je ne réussirai pas dans mon entreprise. » [Ou encore :] « Puisqu’un renard est passé à ma droite, je ne franchirai pas le seuil de ma maison aujourd’hui, car si je sors, je serai abordé par un escroc. » De même en est-il de ceux qui écoutent les gazouillements des oiseaux et disent : « Ceci aura lieu » ou « cela n’aura pas lieu », « Il convient de faire ceci » ou « Il ne convient pas de faire cela. » De même, [sont inclus] ceux qui disent : « Égorge ce coq, car il a chanté comme un corbeau », « Égorge cette poule car elle a chanté comme un coq. » De même, celui qui établit des signes pour lui-même, [disant :] « S’il m’arrive ceci, je ferais cela. Et si cela ne m’arrive pas, je ne ferai pas », comme `ali´azar, l’esclave de `avrohom, et de même toutes [les pratiques] semblables, tout ceci est défendu. Quiconque accomplit un acte en fonction d’une de ces augures se voit infliger la flagellation.
אֵין מְנַחֲשִׁין כַּגּוֹיִים, שֶׁנֶּאֱמָר "לֹא תְנַחֲשׁוּ". כֵּיצַד הוּא הַנִּחוּשׁ: כְּגוֹן אֵלּוּ שֶׁאוֹמְרִין הוֹאִיל וְנָפְלָה פִּתִּי מִפִּי, אוֹ נָפַל מַקְלִי מִיָּדִי, אֵינִי הוֹלֵךְ לְמָקוֹם פְּלוֹנִי הַיּוֹם, שְׁאִם אֵלֵךְ אֵין חֲפָצַי נַעֲשִׂין; הוֹאִיל וְעָבַר שׁוּעָל מִיְּמִינִי, אֵינִי יוֹצֶא מִפֶּתַח בֵּיתִי הַיּוֹם, שְׁאִם יָצָאתִי, יִפְגָּעֵנִי אָדָם רַמָּאי. וְכֵן אֵלּוּ שֶׁשּׁוֹמְעִין צִפְצוּף הָעוֹפוֹת וְאוֹמְרִין יִהְיֶה כָּךְ וְלֹא יִהְיֶה כָּךְ, טוֹב לַעֲשׂוֹת דָּבָר פְּלוֹנִי וְרָע לַעֲשׂוֹת דָּבָר פְּלוֹנִי. וְכֵן אֵלּוּ שֶׁאוֹמְרִין שְׁחֹט תֻּרְנְגוֹל זֶה שֶׁקָּרָא עַרְבִּית, שְׁחֹט תֻּרְנְגֹלֶת זוֹ שֶׁקָּרָאת כְּמוֹ תֻּרְנְגוֹל. וְכֵן הַמֵּשִׂים לְעַצְמוֹ סִימָנִים, אִם יֵארַע לִי כָּךְ וְכָּךְ אֶעֱשֶׂה דָּבָר פְּלוֹנִי, וְאִם לֹא יֵארַע לֹא אֶעֱשֶׂה, כֶּאֱלִיעֶזֶר עֶבֶד אַבְרָהָם. וְכָל כַּיּוֹצֶא בַּדְּבָרִים הָאֵלּוּ, הַכֹּל אָסוּר; וְכָל הָעוֹשֶׂה מַעֲשֶׂה מִפְּנֵי דָּבָר מִדְּבָרִים אֵלּוּ, לוֹקֶה

Établir des « signes » pour soi-même, en disant « Si telle ou telle chose m'arrive, je ferai ceci ou cela, et si cela n'arrive pas, alors je ne le ferai pas », est, du point de vue du Ramba''m, défendu à titre de Nihoush, et il mentionne explicitement l'exemple du « signe » de `ali´azar.

Le Ra´ava''dh ז״ל et d'autres ne sont pas d'accord avec l'approche du Ramba''m d'inclure le « signe » de `ali´azar dans le Nihoush défendu par la Tôroh, faisant remarquer la fameuse tradition rabbinique qui vante la piété de `ali´azar. Est-il possible, se demandent les opposants du Ramba''m, qu'un Saddiq tel que `ali´azar, que le Midhrosh décrit comme étant un homme qui « puisait de l'enseignement de son maître et le versait pour d'autres personnes », ait pu transgresser cette grave interdiction biblique de Nihoush ?

Mais plusieurs autres autorités défendent l'approche du Ramba''m et offrent de nombreuses explications pour la justifier. La plus connue est certainement celle du Ra''n ז״ל. Dans sa collection de Daroshôth3, il explique qu'en vérité le Ramba''m ne désapprouve pas le signe de `ali´azar. Il défend plutôt uniquement des signes qui n'ont aucune relation logique avec la décision à prendre. Par exemple, le Ramba''m mentionne dans le passage susmentionné la croyance superstitieuse selon laquelle on ne doit pas sortir de chez soi si un renard est passé à sa droite. Quel lien y a-t-il entre le fait qu'un renard soit passé à notre droite et le fait de s'interdire alors de sortir de chez soi ? Aucun ! De même, il mentionne la croyance superstitieuse selon quoi, puisque notre pain a glissé de notre bouche lorsqu'on mangeait, on doit s'interdire ce jour-là de s'adonner à une activité professionnelle ou financière, car on échouera dans tout ce que l'on entreprendra. Là encore, il n'y aucun lien entre l'événement et la décision que l'on a prise. Mais `ali´azar a pris sa décision sur la base d'un indicateur intrinsèquement logique, à savoir, la Middoh de Hasadh (bonté, générosité) de la jeune femme. Il recherchait une femme bonne et généreuse, et par conséquent il a décidé qu'il choisirait une femme qui lui proposerait généreusement plus d'eau que ce dont il avait réellement besoin. Le Ramba''m ne renvoyait au « signe » de `ali´azar, non pas pour nous dire qu'il a transgressé l'interdiction de Nihoush, mais pour nous expliquer que la définition même de Nihoush implique de prendre des décisions sur la base d'une certaine occurrence. En règle générale, une telle tactique est défendue, car dans la plupart des cas il n'y a pas de lien entre l'événement et la décision prise. Mais dans ce cas-ci, elle était permise à cause du lien logique qui existait entre l'événement en question et la décision qui en a résulté. En incluant le signe de `ali´azar, le Ramba''m veut attirer notre attention sur le fait que la frontière entre ce qui est permis ou défendu en matière de Nihoush est très mince, et beaucoup, en se basant sur l'exemple de `ali´azar, pourraient en arriver à tomber dans un Nihoush prohibé, étant incapables de comprendre la limite de l'usage de telles tactiques pour prendre des décisions.

Cette distinction entre ces deux sortes de Nihoush nous aide à clarifier l'idée sous-jacente de cette interdiction. Les gens doivent prendre des décisions sur la base de raisonnements solides et minutieux. Lorsque quelqu'un prend une décision sur la base d'événements arbitraires, il se dédouane en fait de toute responsabilité personnelle pour les choix qu'il a faits. De même en est-il de celui qui se lance à l'aventure, sans penser à l'avenir, ni prendre le temps de se préparer comme il faudrait, en se disant tout simplement « HaShem s'occupera de tout ! » Si un agriculteur n'a pas pris le temps de travailler son champ, prier HaShem pour la pluie est une folie, car à quoi lui servira la bénédiction de la pluie alors qu'il n'a pas travaillé son champ ? Au lieu d'être une bénédiction, ce sera pour lui une malédiction ! La bénédiction ne peut tomber que dans un Kali (réceptacle) bien préparé !

Plutôt que de penser en fonction de la situation afin de décider de la suite des événements et des mesures à prendre, l'individu recourt à des tactiques hasardeuses, à du « pile ou face », à du « Tant pis, ça marche ou ça casse », qui ne donnent pas nécessairement le résultat le plus désirable. Et même se lancer à l'aventure sans prendre la peine de réfléchir à toutes les conséquences et problèmes pratiques, mais en se disant qu'HaShem s'occupera de tout, est une forme de superstition. C'est pourquoi HaZa''l nous ont dit : « Qui est sage ? C'est celui qui voit les conséquences de ses actes avant de les accomplir », c'est-à-dire, celui qui prend le temps de peser tous les pour et les contre, les bienfaits et les éventuelles conséquences, et qui se prépare du mieux possible avant de finalement passer à l'acte. En réalité, il est même défendu de prendre une décision irrationnelle ou dangereuse en comptant sur un miracle du Ciel, car c'est ce qui s'appelle mettre HaShem à l'épreuve, ce qui est strictement défendu.4

La superstition dépouille l'être humain de sa faculté la plus vitale, à savoir son intellect, et cela devient alors pour lui une excuse pour ne pas assumer sa part de responsabilité dans ses échecs. Il se rassure en se disant que s'il a échoué c'est parce qu'il y a eu ceci ou cela, ou simplement parce qu'HaShem voulait qu'il échoue. Mais il ne se dira pas « J'ai échoué, car je n'ai pas analysé la situation comme il fallait » ou « parce que je me suis basé sur quelque chose de complètement irrationnel ou inapproprié », ou « parce que je n'ai pas pris la peine de bien préparer ce que je voulais faire », ou « parce que je n'ai pas voulu regarder la réalité des conséquences possibles en face. » D'autres se rassurent en disant que c'est le hasard ou le destin !

C'est pourquoi le Ramba''m permet de déterminer la suite à donner à des événements uniquement sur la base de décisions bien réfléchies et de raisonnements solides et minutieux, comme dans le cas de `ali´azar, et non sur la base de « signes » aléatoires, hasardeux et superstitieux.

1Hilkôth ´avôdhoh Zoroh Wahouqqôth Haggôyim 11:4
2Wayyiqro` 19:26
3Daroshoh n°12

4Davorim 6:16
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