samedi 27 février 2016

Lire la Maghillath `astér dans une langue autre que l'Hébreu

ב״ה

Lire la Maghillath `astér dans une langue autre que l'Hébreu


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Y a-t-il une obligation de lire la Maghillath ´astér en Hébreu ? Qu'en est-il si soi-même ou la communauté ne comprend pas l'Hébreu ? La Miswoh sera-t-elle néanmoins accomplie si on entend la Maghilloh lue en Hébreu ?

Voici ce qui est rapporté dans la Mishnoh1 :

Si on l'a lue dans une traduction de quelque langue que ce soit, on n'est pas quitte. Mais on peut la lire pour ceux qui parlent une langue étrangère dans leur langue étrangère. Et celui qui parle une langue étrangère, s'il l'écoute en Hébreu il est quitte.
קְרָאָהּ תַּרְגּוּם, בְּכָל לָשׁוֹן, לֹא יָצָא. אֲבָל קוֹרִין אוֹתָהּ לַלּוֹעֲזוֹת בְּלַעַז. וְהַלּוֹעֵז שֶׁשָּׁמַע אַשּׁוּרִית, יָצָא

Lorsque la Mishnoh déclare « Si on l'a lue dans une traduction de quelque langue que ce soit, on n'est pas quitte », elle parle du cas de quelqu'un qui lisait la Maghilloh écrite dans une langue autre que l'Hébreu, mais qu'il ne comprend pas. Par exemple, quelqu'un qui lit une Maghilloh rédigée en italien, alors qu'il ne comprend pas du tout cette langue. Dans un tel cas, on n'est pas quitte de son devoir. Par contre, la lire dans une langue étrangère que l'on comprend est permis. De même, si quelqu'un doit lire la Maghilloh pour des gens qui ne comprennent pas l'Hébreu, il pourrait la lire dans la langue qu'ils comprennent. Mais dans tous les cas, lorsque la Maghilloh est lue en Hébreu, peu importe qu'on comprenne ou pas l'Hébreu, on est quitte de son devoir d'avoir écouté la lecture. Ainsi, théoriquement parlant, on pourrait lire pour soi ou les autres la Maghilloh dans une langue autre que l'Hébreu, dès lors qu'on comprend la langue dans laquelle cette Maghilloh est lue. Il y a toutefois deux points de divergence entre les Ri`shônim.

Le premier point tourne autour de la question suivante : si quelqu'un lit la Maghilloh dans une langue étrangère pour des personnes qui ne comprennent pas l'Hébreu, mais que lui comprend l'Hébreu, accomplit-il la Miswoh par cette lecture ? Le Ramba''n2 ז״ל tranche que bien que le lecteur permette aux autres qui ne comprennent pas l'Hébreu de s'acquitter de leur devoir par sa lecture, lui n'est pas quitte de son devoir de lire la Maghilloh, car celui qui comprend l'Hébreu doit s'acquitter en lisant le texte en Hébreu. Le Ramba''n s'appuie sur le Talmoudh Yarousholmi3, qui le dit explicitement. Mais le Ramba''m4 ז״ל tranche différemment, et déclare que le lecteur s'acquitte aussi de son devoir de lire la Maghilloh dans une langue étrangère pour d'autres personnes, s'il comprend à la fois l'Hébreu et cette langue étrangère. Il se base en cela sur le fait que le Talmoudh Bavli ne l'interdit pas. (Mais tous sont d'accord sur le fait que si le lecteur et ceux pour qui il lit ne comprennent pas l'Hébreu, il n'y a aucun problème à la lire dans la langue qu'ils comprennent.)

Le deuxième point de divergence tourne autour de la question suivante : puisqu'il est halakhiquement permis de lire la Maghilloh dans une langue autre que l'Hébreu, dans quels caractères la Maghilloh traduite doit-elle être rédigée ? Faut-il qu'on l'écrive sur un parchemin en lettres hébraïques, ou peut-on l'écrire sur un parchemin avec les lettres de la langue dans laquelle on la traduit ? Disons que quelqu'un parle Français, et ne comprend pas l'Hébreu. Il décide de traduire intégralement la Maghillath `astér en Français sur du parchemin (ou d'acheter une Maghillath `astér traduite en Français, et rédigée sur du parchemin) afin de pouvoir la lire à Pourim en Français, et accomplir ainsi son devoir. Pourra-t-il rédiger sa traduction en lettres latines, ou devra-t-il la rédiger en Français mais avec les lettres hébraïques ? Le Béth Yôséf, le Ramo''` ז״ל, le Ramba''m, le Béth Dowidh, le Ritva''` ז״ל, le Rashba''` ז״ל, ou encore le Ritva''z ז״ל, tranchent tous qu'une Maghilloh traduite doit se rédiger sur du parchemin avec les caractères correspondant à cette langue. Ainsi, on pourrait rédiger la Maghilloh intégralement en Français avec des lettres latines. Mais le Ri`a''z ז״ל, le Rashba''s ז״ל, le Mé`iri ז״ל, le Pari Hodhosh, ou encore le Go`ôn de Wilno` ז״ל, tranchent, eux, que même lorsque la Maghilloh est rédigée sur du parchemin dans une autre langue que l'Hébreu, il faut utiliser des caractères hébraïques (ainsi, par exemple, s'il faudrait écrire en caractères hébraïques « Assuérus », qui est la traduction française de `ahashwérôsh, cela nous donnerait quelque chose comme אַסוּאֵרוּס). Au niveau pratique, la Halokhoh suit la première opinion, même si la coutume la plus répandue consiste à suivre la deuxième. En fait, le Talmoudh nous le dit explicitement que tous les livres du TaNa''Kh, celui d'Esther y compris, peuvent être rédigés intégralement dans une langue étrangère et avec les lettres de la langue étrangère dans lesquels on les traduit.5

Ces deux points de divergence peuvent avoir de nombreuses ramifications ou conséquences pratiques. Par exemple, la communauté juive algérienne avait une antique coutume d'originer une lecture de la Maghilloh pour les femmes à partir d'une Maghilloh rédigée en Espagnol avec des lettres espagnoles, car elles ne comprenaient pas l'Hébreu, alors que l'Espagnol était leur langue vernaculaire. Lorsque le Riva''sh ז״ל émigra d'Espagne vers l'Algérie après les massacres de 1391, il devint rapidement un rabbin influent dans la communauté algérienne. Troublé par cette pratique qui y avait cours à Pourim, il soumis une question halakhique à son maître, le Ra''n ז״ל, pour savoir si elle était correcte, ou s'il fallait plutôt y mettre fin.6 Le Ra''n souleva deux « problèmes » pour interdire cette pratique :

  1. une erreur dans la traduction espagnole du verset de `astér 8:10
  2. le fait que la personne qui lit pour les femmes connait généralement l'Hébreu ferait que le lecteur ne s'acquitte pas de son devoir d'après le Yarousholmi. Puisqu'elle connait l'Hébreu, elle ne peut s'acquitter qu'en lisant la Maghilloh en Hébreu.

Bien que le Ramba''m permette cette pratique algérienne consistant à lire la Maghilloh dans une traduction espagnole, et que le Ra''n considérait que la position du Ramba''m n'était pas irréconciliable avec celle du Yarousholmi, le Ra''n trancha qu'il était préférable de choisir la voie la plus sûre : puisque la Halokhoh talmudique est que même si on ne comprend pas l'Hébreu on est quitte de son devoir en écoutant la Maghilloh lue en Hébreu, il est préférable donc de la lire en Hébreu plutôt qu'à travers une traduction.

À l'inverse du Ra''n, Horov Qa`ppah ז״ל, qui fut à la tête des Talmidhé HaRamba''m jusqu'à son décès en l'an 2000, rapporte la pratique yéménite consistant à lire la Maghilloh dans une traduction arabe pour les femmes. Dans son commentaire sur le Mishnéh Tôroh du Ramba''m7, il inclut même une photographie de cette Maghilloh traduite en Arabe, mais en caractères hébraïques. Son grand-père, qui fut un éminent rabbin yéménite, défendit cette pratique sur base de la position du Ramba''m, en arguant notamment que même d'après le Ra''n elle n'était pas forcément contradictoire avec la position du Yarousholmi. On pourrait en effet considérer que le Yarousholmi l'interdit que lorsque le lecteur ne comprend pas la langue étrangère dans laquelle il lit pour les autres. Mais s'il comprend à la fois l'Hébreu et cette langue étrangère dans laquelle il lit pour les autres, il s'acquitte aussi de son devoir en lisant pour eux dans cette langue-là.

Il convient d'insister sur le fait que lorsque la Maghilloh est traduite dans une langue étrangère, pour qu'elle soit valable à Pourim, elle doit être rédigée sur du parchemin. (Et d'après le Ramba''m et d'autres, on pourra utiliser les caractères de la langue dans laquelle on la rédige.) Lorsqu'on fait la lecture avec un texte imprimé (par exemple, à partir d'un livre, et non d'un parchemin), on ne doit alors pas faire les bénédictions qui précèdent la lecture, car elles ne doivent être faites que si on lit dans un parchemin.

Concluons en signalant qu'une Maghilloh rédigée en Hébreu avec les voyelles et signes de cantillation est également valable pour la Miswoh.

1Maghilloh 2:1
2Sur Ibid., 17a
3Ibid., 2:1
4Mishnéh Tôroh, Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 2:4
5Maghilloh 18a
6La lettre du Riva''sh se trouve dans « Responsa HaRiva''sh n°388 », tandis que la réponse du Ra''n se trouve dans « Responsa HaRiva''sh n°390 »

7Hilkôth Maghilloh 2:4
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