lundi 2 janvier 2017

L'obligation de Sholôsh Sa´ôdhôth

ב״ה

L'obligation de Sholôsh Sa´ôdhôth


Cet article peut être téléchargé ici.

La Tôroh nous parle de la manne, la nourriture miraculeuse par laquelle les Bané Yisro`él furent nourris tout au long de leur quarante années de voyage dans le désert inhospitalier. En général, chaque individu recevait une portion quotidienne le matin, qui pourrissait si on la gardait jusqu'au lendemain. L'exception à la règle était le vendredi, où la portion de deux jours tombait, dont l'une pouvait, sans risque, être mise de côté pour le lendemain, Shabboth. Le tout premier Shabboth, lorsque le peuple se réveilla et découvrit que leur portion supplémentaire était encore intact, Môshah Rabbénou ע״ה leur ordonna de la consommer sans inquiétude1 :

Et Môshah dit : « Mangez-la aujourd'hui, car c'est aujourd'hui Shabboth pour `adhônoy ; aujourd'hui, vous n'en trouverez point aux champs ! »
וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה אִכְלֻהוּ הַיּוֹם, כִּי-שַׁבָּת הַיּוֹם לַיהוה: הַיּוֹם, לֹא תִמְצָאֻהוּ בַּשָּׂדֶה

Le Talmoudh2 comprend ce verset comme établissant un protocole général de Shabboth pour tous les temps, et pas seulement vis-à-vis de la manne. D'après le Talmoudh, Môshah Rabbénou introduit ici l'obligation de manger à Shabboth. Plus précisément, la triple répétition du mot הַיּוֹם « Hayyôm – aujourd'hui », que l'on retrouve dans ce verset, fait allusion à l'obligation de consommer trois repas distincts à Shabboth. Sur la base de ce passage talmudique, certains Ri`shônim soutiennent que consommer trois repas à Shabboth constituerait une obligation Min Hattôroh (une obligation d'origine toranique).

Mais à l'évidence, le Ramba''m ז״ל interprète complètement différemment les propos du Talmoudh. Il rapporte l'obligation des trois repas de Shabboth dans le dernier chapitre des Hilkôth Shabboth de son Mishnéh Tôroh3 dans le cadre de sa discussion sur le concept de עֹנֶג שַׁבָּת « ´ônagh Shabboth » (l'obligation de se délecter à Shabboth). Comme il l'écrit en introduction de ce chapitre, l'obligation de ´ônagh Shabboth ne provient pas de la Tôroh mais découle de la prophétie de Yasha´yohou Hannovi` ע״ה, qui dit4 : וְקָרָאתָ לַשַּׁבָּת עֹנֶג, לִקְדוֹשׁ יהוה מְכֻבָּד « Et tu appelleras le Shabboth un délice, une sainteté de `adhônoy, digne d'honneur. » Le Ramba''m ne fait aucune mention du verset de la Tôroh sur la manne, que le Talmoudh cite comme source de l'obligation de שָׁלוֹשׁ סְעוֹדוֹת « Sholôsh Sa´ôdhôth » (les trois repas [de Shabboth]). Plutôt, il l'inclut simplement comme l'un des quelques détails faisant partie de la Miswoh de ´ônagh Shabboth établie par Yasha´yohou Hannovi`.

Il ressort que le Ramba''m voyait la déduction du Talmoudh basée sur ce verset du Séphar Shamôth comme n'étant rien d'autre qu'une אַסְמַכְתָּא « `asmakhto` », une allusion subtile dans le texte biblique à une pratique instituée plus tard. D'après lui, la source réelle de cette exigence est l'obligation générale de ´ônagh Shabboth plutôt qu'un commandement spécifique émis dans la Tôroh.

Le point de vue du Ramba''m sur l'obligation de Sholôsh Sa´ôdhôth a de nombreuses implications pratiques très intéressantes. Premièrement, elle affecte la question de savoir si quelqu'un doit consommer trois repas même si cela lui causera un inconfort ou un déplaisir. À l'évidence, une fois que nous classons les Sholôsh Sa´ôdhôth dans la catégorie générale de ´ônagh Shabboth, par définition ces repas ne peuvent alors pas être pris au dépend de son plaisir ou bien-être physique. En effet, le Ramba''m écrit ceci : וְאִם הָיָה חוֹלֶה מֵרֹב הָאֲכִילָה, אוֹ שֶׁהָיָה מִתְעַנֶּה--פָּטוּר מִשָּׁלוֹשׁ סְעוֹדוֹת « Mais s'il est malade de beaucoup manger ou s'il jeûne [régulièrement], il est exempt des Sholôsh Sa ôdhôth. »5 Par contre, d'après la position des autres Ri`shônim qui considèrent les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une Miswoh Min Hattôroh indépendante, il semblerait qu'il devrait néanmoins prendre ces repas même si cela lui causerait un inconfort ou déplaisir (sauf si cela met sa vie en danger), car les obligations Min Hattôroh ne sont pas levées par souci d'inconfort ou de déplaisir.

Une deuxième application pratique de la position du Ramba''m concerne un Minhogh, qui était apparemment très courant à certaines périodes, consistant à partager le repas principal de Shabboth en deux plutôt que de prendre un troisième repas. Plus particulièrement en hiver, lorsque prendre deux repas avant le coucher du soleil n'est pas toujours faisable, certaines personnes récitaient simplement la Birakhath Hammozôn en plein milieu du deuxième repas de Shabboth, puis récitait une nouvelle bénédiction sur le pain. Elles étaient alors considérées comme ayant pris les deux repas de ce jour (en plus de celui du vendredi soir), accomplissant par-là l'obligation de Sholôsh Sa´ôdhôth.

Mais d'après la perspective du Ramba''m, il n'y aurait aucune utilité à partager le repas principal de Shabboth en deux. En effet, si les Sholôsh Sa´ôdhôth sont requises en vertu de l'obligation de ´ônagh Shabboth, il est alors logique d'affirmer que chaque repas doit apporter une certaine dimension supplémentaire de délectation. Si le repas de quelqu'un se prolonge jusque tard l'après-midi, il n'expérimente pas un ´ônagh supplémentaire en s'arrêtant de manger, en récitant la Birakhath Hammozôn, et en consommant un autre morceau de pain. Dans une telle situation, le Ramba''m conseillerait probablement à cette personne de simplement poursuivre son repas comme d'ordinaire plutôt que d'user d'un tel subterfuge. Et s'il n'y a pas assez de temps pour qu'elle ait le temps de développer un nouvel appétit pour le troisième repas, elle n'aura alors même pas besoin de prendre un troisième repas car, comme nous l'avons vu, le Ramba''m exempte de cette obligation si cela causera un inconfort, déplaisir, etc.

À l'inverse, si nous suivons l'approche des autres Ri`shônim qui considèrent les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une obligation Min Hattôroh, nous devrions alors effectivement exiger de quelqu'un qui se retrouverait dans une telle situation de partager en deux son repas, de façon à ce qu'il soit considéré comme ayant formellement pris trois repas distincts. Ou on pourrait arguer que l'obligation de consommer trois repas se réfère à trois repas pris à trois moments différents du jour de Shabboth. Et effectivement, Rabbénou Ya´aqôv de Marvège ז״ל (un des Tôsophôth du 13ème siècle) rapporte dans son ouvrage intitulé Min Hashomayim6 qu'il aurait reçu une vision nocturne dans laquelle on lui aurait dit que tout comme le mot הַיּוֹם « Hayyôm – aujourd'hui » apparaît à trois occasions distinctes dans le verset, de même, les trois repas de Shabboth devraient être pris à trois moments distincts durant le Shabboth, à savoir le soir, le matin et l'après-midi. Mais évidemment, pour nous qui suivons le Ramba''m, le mot הַיּוֹם « Hayyôm – aujourd'hui » n'a aucune incidence ni portée sur cette Halokhoh, puisque ce verset n'est pas vraiment la source de l'obligation des Sholôsh Sa´ôdhôth.

Il est intéressant de noter que dans le même passage du Mishnéh Tôroh le Ramba''m ajoute que les Sholôsh Sa´ôdhôth s'appliquent même lors des Yomim Tôvim. À la lumière du fait que le Ramba''m décrit les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une Halokhoh découlant du ´ônagh Shabboth, nous devons conclure que les Yomim Tôvim aussi incluent une obligation de ´ônagh, comme Shabboth. Mais une telle conclusion est quelque peu surprenante et problématique, sans compter qu'elle n'a aucune base dans une source antérieure. En parlant de Yôm Tôv la Tôroh et le Talmoudh parlent plutôt d'une obligation de ִמְחָה « Simhoh – réjouissance. » Le concept de Simhoh est assez différent de celui de ´ônagh ; ce dernier à une délectation physique, alors que la Simhoh se réfère à un sentiment intérieur de joie (pouvant aussi être engendré par le fait d'avoir mangé). Il est donc difficile d'expliquer pourquoi le Ramba''m a étendu l'obligation de ´ônagh aux Yomim Tôvim.

1Shamôth 16:25
2Shabboth 117b
3Hilkôth Shabboth 30:9
4Yasha´yohou 58:13
5Hilkôth Shabboth 30:9

6Tashouvoh n°14
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...